une pédagogie par la création _
rillieux-la-pape, avril 2014
Le domaine nomade créé au Lycée professionnel Georges Lamarque de Rillieux-la-Pape est l'aboutissement d'une résidence d'artiste en lycée de 7 semaines étalées sur 6 mois. À l'invitation du Centre Chorégraphique National de Rillieux, Laurent Pichaud, assisté de Julien Quartier, ont incorporé une vingtaine de lycéens à ce projet de création spécifique au site du lycée.
Le domaine nomade que nous avons créé au Lycée professionnel Georges Lamarque durant l’année scolaire 2013-2014 répondait à plusieurs approches simultanées et complémentaires :
Créer, in situ, une visite chorégraphique du lycée par les lycéens - c’est-à-dire par des corps non danseurs...
Décadrer la vision habituelle et fonctionnelle du lycée chez les élèves eux-mêmes et les visiteurs – c’est-à-dire poétiser un lieu de vie...
Transformer une résidence d’artiste habituellement pensée par la pédagogie en une création artistique avec les lycéens – c’est-à-dire inventer une pédagogie par la création.
Laurent Pichaud
(extrait d'un document de communication)
Parmi de nombreuses approches documentaires développées pour accompagner ce projet, un Journal de résidence a été tenu durant 6 mois. Il expose frontalement toutes les questions qu'un tel projet soulevait, que ce soient des questions liées à l'artistique, au pédagogique, à la production, à la communication ou à la logistique. Pensé d'abord comme un outil de suivi entre les différents partenaires, il est devenu petit à petit un objet de création indépendant témoignant de la complexité dynamique qu'une telle démarche artistique génère.
Vous en trouverez ci-dessous de larges extraits choisis pour restituer l'approche artistique propre à cette version du domaine nomade, celle d'une œuvre de pédagogie par la création.
•
octobre-novembre 2013 :
octobre-novembre 2013 :
préparation
•
lundi 14 octobre 2013
• réunion préparatoire
Après acceptation de
la part des tutelles, cette première réunion lance officiellement la résidence.
La direction du
lycée – Mme Faynet, Proviseure, Mme Astic, Intendante –, les enseignantes porteuses
du projet – Maryse Brangier et Véronique Mokedem –, Gwenaële Magnet coordinatrice du projet au CCN de
Rillieux, et les deux artistes – Laurent Pichaud et Julien Quartier, se
réunissent donc pour mettre en place avant tout la logistique (présence de
Laurent Pichaud, aménagement des calendriers scolaires des lycéens concernés…)
et l’aspect administratif (convention tripartite…)
jeudi 17 octobre 2013
• une première rencontre avec les lycéens
Une première
surprise saute aux yeux des deux enseignantes porteuses du projet : les
deux classes concernées – CAP menuisiers et BMA ébénisterie – sont au complet pour cette réunion… Les élèves semblent
curieux.
Laurent Pichaud se
présente, explique son parcours de danseur devenu chorégraphe in situ, et expose le projet du domaine nomade : réaliser une série de « visites guidées par et pour le corps
sensible » du Lycée Lamarque à l’adresse de différents publics de
Rillieux-la-Pape.
Il insiste sur le
fait que cette visite guidée s’inventera de concert avec les lycéens, qu’ils
seront à la fois les porteurs-concepteurs du projet mais aussi les interprètes avec
lui et Julien Quartier.
Dans la foulée de
ce petit exposé, il propose deux premières expériences aux lycéens :
— choisir deux sites du lycée – un qui leur tient à cœur, et un autre
qu’ils n’apprécient pas –, et exposer sur papier les raisons de leur choix.
De manière
flagrante, certains sites reviennent plus que d’autres. Ce ne sont pas les
mêmes selon les menuisiers ou les ébénistes.
Le no man’s
land de l’entrée publique – seul endroit où il est autorisé de fumer, le foyer
des élèves, le gymnase, le CDI, tous les espaces verts du Parc ont des valeurs
plus ou moins positives. Par contre le bureau de la CPE ( ! ), la
passerelle au-dessus de la voie ferrée pleine de crachats, l’infirmerie, les
salles de cours sont déplaisantes.
Ce premier
choix des lycéens permet de concrétiser une première cartographie sensible du
lycée. Cela servira pour le choix des sites à faire visiter lors du domaine nomade d’avril.
— sortir faire une visite du lycée, de l’entrée principale jusqu’aux
ateliers bois, durant laquelle les lycéens présentent tour à tour leur ressenti à Laurent Pichaud et Julien Quartier.
Cette
expérience permet aux artistes d’entendre comment les lycéens peuvent ou non
parler de leur ressenti. Certaines timidités sont flagrantes, se singulariser
des autres est aussi une chose difficile. On évoque plutôt la « normalité
» qu’un ressenti personnel…
Pour
apprécier combien nous sommes tous singuliers corporellement et toniquement,
Laurent propose une expérience chorégraphique simple à réaliser et à observer. Chaque lycéen doit descendre devant les autres, les
marches de l’escalier qui mène aux ateliers-bois. Chacun doit observer
le rythme propre à chaque corps, la trajectoire choisie, l’élan, et comment
« musicalement » chacun utilise le bois résonnant de cet escalier.
Cet
exercice de conscientisation fait un premier effet positif, puisque certains
lycéens en reparleront informellement les semaines suivantes.
À la fin de ce
premier créneau de 2h, Gwenaële Magnet et Olivier Perry nouvel
administrateur général du CCN de Rillieux arrivent et se présentent aux élèves.
Ils expliquent ce qu’est le CCN de Rillieux et leur annoncent qu’une visite est
prévue en décembre, mais aussi que les lycéens vont venir, dès novembre, voir
un spectacle présenté dans le cadre du festival Play Time.
jeudi 28 novembre 2013
• spectacles au CCN de Rillieux
Une première sortie organisée autour de deux
spectacles : Yonder Woman
(Anne Nguyen/Compagnie Par Terre) et The
Him (Yuval Pick/Ballet de l'Opéra National du Rhin)
témoignage Maryse :
Nous
emmenons nos deux classes assister à deux pièces chorégraphiques. Secrètement,
je pense aux notions d'apprentissage du regard du spectateur et je me rassure
en me disant que nous les avons déjà fait rencontrer des œuvres et des artistes
l'an dernier. Gwenaële m'a demandé de veiller à ce que nos élèves soient
silencieux. En effet, la salle est remplie de publics scolaires. Nos élèves
s'installent comme bon leur semble. Je m'aperçois que 3 élèves difficiles de
CAP sont bien serrés les uns près des autres et qu'un quatrième s'est installé
derrière eux : ils font bloc. Je force littéralement le passage et m'installe entre
les deux derniers du rang. Je fais retirer les casques et oreillettes, fait
éteindre les portables et demande de ranger tout cela dans leur poche de
vêtement, sous peine de confiscation.
Le
noir s'installe. Un élève à ma gauche, tente de remettre son casque. Je lui
fais signe de le ranger et il obéit. Un autre, à ma droite, se recule le plus
possible sur son siège pour ne pas être dans mon regard latéral et bricole de
temps à autre des choses. Un troisième sort sans arrêt son portable et
j'essaie, en vain, de lui faire ranger de façon durable. Pendant le duo de
femmes, je me concentre et je sens qu'un d’eux est concentré aussi, très
concentré même. L’autre continue ses bricolages discrètement mais semble
recevoir par intermittence des éléments de la chorégraphie. Le troisième,
semble lui, prêt à quitter la salle à tout moment. Un quatrième est discret en
paroles et je ne suis pas assez proche de lui physiquement pour sentir s'il est
concentré ou non. Pendant la deuxième pièce très différente, ce dernier est
scandalisé par ces hommes qui se touchent, se portent et il le fait savoir haut
et fort (« C'est la gay pride ! »). Un élève rebondit parfois sur ses
propos mais avec plus de modération. Un autre semble fatigué (trop long?) mais
maintient une forme d'écoute. J'ai renoncé à faire disparaître de ma vue le
portable de S. qui est au bord de l'implosion.
A
la fin des pièces chorégraphiques, dans les commentaires tout azimut qui
sortent, Y. se conforte dans son ton scandalisé, X. finit par dire que les deux
pièces étaient bien, V. me dit qu'il a préféré la première et T. est déjà
parti...
[…]
9-12 décembre :
première semaine de résidence
•
lundi 9 décembre 2013
• matin : réunion
Les 2 professeures
porteuses du projet, Gwenaële Magnet pour le CCN, et les deux artistes
précisent le planning d’une semaine type de résidence. Depuis octobre d’autres
professeurs ont ouvert une collaboration avec le projet ce qui permet de
multiplier les heures de pratique pour les lycéens :
—
mardi après-midi : Mr Combasson, professeur d’Art Appliqué, s’associe sur
deux heures avec les BMA.
—
mercredi après-midi : Mme Mokedem donne deux heures pour un travail
spécifique avec les CAP MEN dans le gymnase
—
jeudi après-midi : Mr Guillot, professeur de sport veut bien aussi
s’associer sur un créneau de 2 heures.
Le programme des sorties
culturelles se précise aussi : visite des ateliers techniques de l’Opéra
de Lyon, organisation d’une sortie spectacle à la Maison de la Danse et à
l’Opéra de Lyon. Les contacts sont pris.
• début d’après-midi :
Les BMA sont en
cours de mathématiques et travaillent sur l’optique et la lumière.
Laurent Pichaud
assiste au début du cours et entend que les élèves ont été intéressés par la
création lumière du spectacle qu’ils sont allés voir au CCN de Rillieux la
semaine dernière et qu’ils ont discuté longuement avec le technicien lumières
du spectacle.
Pourquoi ne
pas penser une séquence spécifique
sur la lumière durant le domaine nomade ?
sur la lumière durant le domaine nomade ?
mardi 10 décembre 2013
• matin :
Préparation de la
réunion du soir avec les personnes ressources du Lycée. Laurent re-parcourt le
site du lycée et fait des photos, et prépare un powerpoint pour potentialiser
et donner à voir les premières idées chorégraphiques pensées sur les différents
sites choisis.
Un document papier
est préparé pour la réunion afin de donner à lire le planning et les grandes
lignes du projet.
• début d’après-midi : sortie
Les BMA sont de
sortie toute la journée avec Mr Combasson leur professeur d’Art Appliqué. Le
matin, ils étaient au Musée des Arts décoratifs de Lyon, l’après-midi ils
partent à la Sucrière pour visiter la Biennale d’Art Contemporain. Laurent les
rejoint à cette occasion.
Avant la visite,
une marche le long de la Saône s’organise autour de l’architecture
contemporaine du quartier de la Confluence.
Arrivée la Biennale : une visite de
groupe est organisée spécifiquement pour les lycéens.
• 17h30-18h30 : réunion avec les personnes ressources du Lycée – Salle
vidéo
Une quinzaine de
personnes sont présentes. Laurent expose avec Julien la spécificité de cette
résidence au Lycée Lamarque : un chorégraphe qui cherche à inscrire sa
démarche avec les « habitants-travailleurs » du lieu afin de créer un
projet commun.
Le powerpoint préparé présente un à un les sites possible de la visite
d’avril avec des premières esquisses d’idées scénographiques ou chorégraphiques.
Un document synthétique est distribué :
résidence d’artiste
domaine nomade
•
un chorégraphe dans un
lycée ?
• Quelle place le
corps occupe dans une vie de lycéen ?
Au-delà des activités sportives personnelles ou scolaires,
au-delà de l’engagement physique du lycéen à travers l’enseignement
– travail artisanal, manuel,
comment profiter d’une résidence offerte à un chorégraphe pour
partager un savoir et une pratique chorégraphiques du ‘sensible’ : tel
est l’enjeu de ce projet de résidence.
projet artistique : un domaine nomade
– à partir du travail chorégraphique avec les lycéens tout au long
de l’année scolaire
– à partir d’endroits choisis sur le site entier du Lycée Lamarque
par un groupe de lycéens concernés
– à partir d’une fabrication d’éléments plastiques et
scénographiques en bois servant à aménager les différents sites choisis dans
le Lycée Lamarqu
réalisation d’une série de « visites guidées par et pour le corps sensible » du Lycée
Lamarque, visites intitulées domaine nomade.
le domaine :
c’est le Lycée Lamarque lui-même, mais interrogé comme le contenu de
l’imaginaire du lycéen. « Ce lycée, c’est mon domaine : je le connais,
je le pratique quotidiennement, je m’y déploie », et c’est lui que je
vais faire visiter à des spectateurs.
nomade : un Lycée, une vie lycéenne, cela se
traverse. Temporairement, rythmiquement, rituellement. Et nous allons
utiliser ces approches du Temps dans cet Espace particulier pour transformer
les visiteurs en nomades :
« Vous allez vivre, donc traverser, ce
que nous savons, ce que nous connaissons, ce que nous transpirons dans ce
Lycée ».
année scolaire 2013-2014
7 semaines de résidence entre décembre 2013 et avril 2014 :
semaine du 9 décembre
semaine du 16 décembre
semaine du 10 février
semaine du 17 février
semaine du 17 mars
semaine du 7 avril
semaine du 14 avril : série de visites organisées sur la
semaine : scolaires et tout public
|
mercredi 11 décembre 2013
• 14h-16h : CAP MEN – gymnase
Premier temps de
rencontre « par le corps » entre Laurent, Julien et les CAP MEN.
Cette première
session de travail a été pensée dans et pour le gymnase, dans le but d’ouvrir
un imaginaire corporel dans le lieu. Pédagogiquement Laurent et Julien
organisent la session à travers la question du poids et du contrepoids : articulés
à partir d’un échauffement spécifique et déployés ensuite sur des exercices
plus physiques, voire acrobatiques, en particulier les portés de la chorégraphe
américaine Trisha Brown.
Pédagogiquement
ce premier temps est loin d’être concluant : l’idée de s’échauffer à
partir des éléments du gymnase (ballons, tapis de sol), ne fonctionne pas,
car les ballons sont aussitôt objets de jeu habituel.
Problème de
concentration de groupe évident, tout comme il apparaît évident aussi que pris
seul à seul chaque lycéen sait se mettre au travail : c’est une piste
importante à suivre pour le futur.
Troisième
observation : ce groupe ne se donne aucun droit à l’échec, donc si la
proposition qui leur est faite leur semble trop difficile, ils refusent
aussitôt le passage à l’acte.
témoignage Véronique :
Lors de la première séance de
travail au gymnase, tous les élèves de Cap menuisier sont présents, sauf 1.
C’est plutôt bon signe, cela veut dire qu’ils acceptent la proposition de
s’engager dans un travail artistique assez éloigné de leurs repères habituels.
Le début de la séance avec les ballons se passe assez mal, les élèves sont en
difficulté pour rouler sur les ballons avec leur corps et moi aussi. L’espace
est grand, les garçons lancent les ballons n’importe où, il faut courir après.
Le travail sur le poids-contrepoids se passe mieux, de même que les portés,
même si je dois plusieurs fois aller chercher des élèves dans les couloirs du
gymnase où ils se « cachent ».
De ce
premier temps un peu instable, on ne peut que mesurer la force émotionnelle et
sensible de ces élèves : il est flagrant qu’ils ont un potentiel
« incarné » fort, mais il faut comprendre comment et à quelques
conditions artistiques ils vont oser l’éprouver "en compagnie"…
jeudi
12 décembre 2013
• 10h-12h30 : CCN Rillieux
Ce premier créneau
commun aux deux classes se déroule au CCN de Rillieux en deux temps :
— une visite
complète du lieu par Gwenaële Magnet qui nous accueille et nous explique les
enjeux politiques d’un CCN dans ce quartier et l’outil artistique qu’il
représente
— assister à un cours
de danse. Cette semaine le chorégraphe et pédagogue Clint Lutes donne le cours
du matin aux danseurs de la compagnie et aux danseurs de la région.
Cette
visite commune déclenchera quelques sujets de discussions entre les lycéens et
l’équipe pédagogique, en particulier le cours de danse.
Étonnement devant
l’engagement technique des danseurs,
questions sur la virtuosité et la singularité des corps,
questions sur la virtuosité et la singularité des corps,
sur les
choix musicaux,
sur la
sensualité des corps ( !)...
cela offre
à Laurent et Julien plusieurs portes d’entrée quand aux prochaines sessions de travail.
• 13h30-15h30 : BMA – gymnase
Le professeur de
sport Stéphane Guillot propose son créneau de 2 heures à Laurent pour
travailler avec les BMA 1er et 2è années.
Comme ce créneau a
lieu dans le gymnase, Laurent en profite pour lancer ces élèves ébénistes sur
les mêmes exercices conçus la veille pour les élèves menuisiers.
Les réactions
physiques et imaginaires sont bien sûr très différentes entre les deux groupes,
et cela permet, au delà du confort de l’écoute et de la
concentration, de creuser certains axes d’approches corporels plus
spécifiques : travail les yeux fermés, jeux de composition instantanés.
Pédagogiquement la
visée est la même : à partir d’un échauffement inventif, essayer de
trouver des matériaux chorégraphiques qui pourraient servir à l’élaboration de
séquences spécifiques avec ce groupe d’ébénistes.
témoignage
Maryse :
En accord avec Véronique et
Laurent, j'informe une nouvelle classe, les terminales CAP ébénistes, de la
résidence d'un chorégraphe au lycée dans le but de grossir le groupe d'internes
avec lequel Laurent souhaite travailler. Tous écoutent, un peu étonnés de ce
type de projet. Au milieu de tous ces visages, je vois celui de T.
T. très discret en cours,
souvent découragé par ses difficultés liées à une dyslexie, T. en entendant le
projet s'éveille. Son visage exprime la joie et pourtant il ne dit rien. Le
simple contact de mes mots et du projet derrière ont rencontré quelque chose en
lui. C'est là une évidence : T. trouvera sa place dans le projet de
danse !
• fin d’après-midi : réunion avec un groupe d’internes – salle
vidéo
Une quinzaine d’élèves
sont présents. Il y a les 5 (sur 7) élèves BMA, mais aussi des jeunes femmes en
Tapisserie dont certaines ont été attirées par le côté danse (élèves de
Véronique), mais aussi T. un jeune CAP ébéniste. Laurent leur montre le même
diaporama que celui exposé lors de la réunion du mardi soir, avec les mêmes
exemples corporels.
Les BMA expriment
aussi devant les autres internes ce qu’a été la séance de l’après midi, ce
qu’ils ont ressenti et pressenti du projet.
Cette
réunion n’est pas une réussite, au-delà du groupe des BMA, les exemples dansés
montrés en direct sont esthétiquement trop éloignés des attentes des autres élèves.
Laurent
ressent un respect du projet, une écoute même, mais une difficulté pour les
« invités » de cette réunion à se projeter dans une telle approche
chorégraphique. Nous convenons néanmoins de créer un créneau de travail tous
les mardis et jeudis avant le repas du soir.
Mais là
encore, comme la veille avec les CAP MEN, il faut trouver un angle d’approche
spécifique pour que ce projet parle aux lycéens et qu’ils s’y engagent.
bilan
de cette première semaine :
la résidence est lancée !
l’accueil du lycée est généreux vraiment,
les équipes enseignantes et administratives sont
très ouvertes et l’aident au mieux, je trouve mes marques dans le lycée : géographiquement,
émotionnellement,
mais le peu de temps imparti et les premières
difficultés avec les lycéens m’interrogent et me demandent de recadrer
certaines approches…
[…]
11-14 février :
troisième semaine de résidence
mardi
11 février 2013
• 12h : réunion – réfectoire
Véronique, Maryse,
Gwenaële, Julien et Laurent mangent ensemble au réfectoire. Retrouvailles et
mise au point du calendrier à venir. En particulier sur la conférence-rencontre
prévue en mars à la Médiathèque Baudelaire et la question de la création d’une
carte postale pour annoncer le domaine nomade
au public du CCNR. L’idée est de travailler avec les BMA sur le graphisme,
Laurent doit aller les voir dans l’après-midi avec leur enseignant en dessin
d’art : Nicolas Combasson qui désire s’intégrer au projet.
Il est aussi question
des CAP MEN qui traversent une phase difficile scolairement. Chacun essaye de
mesurer comment pédagogiquement et artistiquement on peut continuer
d’accompagner au mieux ce groupe et les personnalités qui le composent : faut-il
toujours les penser en terme de groupe ? faut-il au contraire les
individualiser pour éviter les débordements faciles et mettre en valeur
certaines singularités trop vite excitées par les rapports de groupe ?
En fin de réunion,
Maryse et Véronique se positionnent pour être interprètes d’une des
séquences du domaine nomade d'avril : plutôt les fouilles que le mémoriel.
C'est important que les professeures s'investissent aussi dans la danse.
Qu'elles prennent aussi le risque de s'exposer en même temps que les élèves.
Dans le temps d'élaboration cela peut aussi modifier le rapport profs/élèves.
• 15h : cours du lycée
Julien présente Charles à Laurent. Charles suit la
même formation que Julien au Greta. Ancien photoreporter, récemment reconverti
dans la photographie en studio (portraits de personnes ou d’objets (pub,
marque, etc)), Charles a eu vent du projet et exprime le désir de s’y investir.
Son envie est de créer des dispositifs photographiques que les lycéens
pourraient s’approprier. Il pense avant tout à la question des gestes
professionnels à photographier et/ou filmer. Nous lui parlons de la
séquence gestes manuels pour les BMA aux
ateliers bois.
— des portraits des participants du domaine nomade, effectués dans un endroit qu’ils
choisiraient. Ce diaporama pourrait s’associer au montage sonore commencé par
Julien sur les paroles de lycéens déambulant dans le lycée.
— un dispositif
sur les gestes manuels : à effectuer par les BMA dans leur atelier.
Charles propose de
se rendre disponible dès ce soir pour venir rencontrer les BMA (ils ne se connaissent
que de loin) et leur présenter ses envies.
• 17h45-18h45 : salle dessin d’art
La salle vidéo est malheureusement occupée. On se
réunit donc dans une salle attenante. Tout petit comité : ils sont 4 sur
8…
Deux temps :
— Laurent présente Charles qui expose ensuite ses
projets. On valorise surtout le dispositif sur les gestes manuels qui sera
testé dès vendredi, puisque c’est la journée commune en atelier bois, les BMA
et les GRETA étant seuls à occuper les espaces.
— On essaye de transformer cette salle un peu
ingrate : sale, lumières fluorescentes maussades, en un campement. Les lycéens expliquent comment ils
s’installent habituellement lors des soirées du mercredi devant un film :
chacun amène plus ou moins sa couette, son oreiller. Au premier rang, des
garçons retournent des chaises au sol, pieds en l’air, et se servent du dossier
comme appuis-têtes, c’est très efficace… Au deuxième rang, des chaises. Sur les
côtés, les tables le long du mur sont apparemment réservées aux couples.
On pose la question scénographique de savoir comment transformer la
salle vidéo en campement : faut-il
respecter cette méthode lycéenne avec les moyens du bord ou bien choisir un
mode de composition spatiale plus « esthétisée » ? Nous n’avons
pas les moyens de trancher ce soir, et sans doute le résultat sera un juste
milieu.
• 19h30-20h : parc du lycée
Un tirage au sort désigne Y. Ce sera donc avec elle
que Laurent fera un enregistrement d’une promenade nocturne dans des lieux du
lycée qu’elle choisit. Sa parole est très timide, elle avait prévenue qu’elle
ne se sentait pas de le faire…
Mais calmement,
grâce au fait que Laurent et Y s’autorisent d’aller dans des endroits
habituellement interdits, la promenade trouve sa parole.
mercredi
12 février 2013
• 8-11h : Balmes, BMA
Il fait grand beau, la matinée se lève et nous
avons 3 heures devant nous pour travailler enfin dans les balmes où la pluie
nous a toujours empêchés de travailler en décembre. On s’habille de vêtements
tout terrain car on sait que l’on va se rouler par terre et grimper aux arbres.
On essaye tout azimut les idées liées à cet
endroit :
— un travail formel :
comment nos corps humains peuvent révéler la composition géométrique du lieu :
— un travail organique :
travailler dans nos corps un état végétal ou animal
— un travail fonctionnel :
grand porté de groupe
— un travail sonore :
nous avons récolté des cloches (vaches, chèvres) et tentons de faire sonner le
lieu le plus discrètement possible, pour transformer les Balmes en paysage alpestre.
Les cloches discrètes ou très sonores font aussi écho à la sonnerie des
récréations.
— un personnage :
dans la logique initiale des photos de Charles Fréger, un personnage costumé
pourrait déambuler dans ce décor onirique : additionner les cloches, les
cornes de vaches et bois de rennes, des fourrures, des éléments végétaux.
Peut-être un seul costume qui pourrait être porté à tour de rôle par chacun des
protagonistes de cette séquence ?
Cela fait
du bien d’avoir trois heures d’affilée pour travailler.
Les élèves sont ravis aussi de s’épanouir à l’air libre.
Les élèves sont ravis aussi de s’épanouir à l’air libre.
Cela
devient clair qu’il va falloir multiplier les créneaux pour se donner du temps
et épanouir le travail de recherche avec les lycéens. L'intérêt est de ne pas penser trop
vite à une écriture chorégraphique qui serait trop plaquée sur eux et leurs
compétences, mais les faire entrer dans l'expérimentation créatrice que seul le temps long permet.
• 14-15h : plaque mémorielle G. Lamarque
Julien et Laurent anticipent cette séquence qu’ils incarneront
à deux, sauf s’ils arrivent à intégrer et motiver quelqu’un de l’administration
ou de la direction ? Madame la Proviseure ?… L’idée de faire une
séquence « officielle » : discours et rituel mémoriels,
poétiques, en hommage à G. Lamarque.
• 15-16h : atelier ébénistes
Il faut préparer la communication du domaine nomade d’avril. Pour la carte postale que
le CCNR va éditer, Julien et Laurent essayent de travailler d’autres visuels.
Julien a trouvé un morceau de loupe, excroissance ligneuse de certains arbres
qui est utilisée en placage en ébénisterie. Les lignes sinueuses ressemblent à
des courbes de niveau topographiques et l’idée est de rapprocher ce motif d’une
carte IGN.
Ils découpent le morceau de loupe de la forme du
plan du lycée qu’ils ont en archive. Laurent doit aller en ville pour trouver
une carte IGN adéquate.
• 16-17h30 : gymnase, CAP MEN
Retrouvailles avec les CAP MEN dans l’incertitude
de leur engagement. Le début de semaine a été agité pour eux avec certains
professeurs et CPE. Il en manque 3, pour diverses raisons.
Julien et Laurent ont préparé cette séance de
travail avec 3 objectifs précis.
— De nouveau, confronter les élèves avec le rituel
de l’échauffement basé sur les poids-contrepoids :
à pratiquer à deux. Cette fois-ci cela ira jusqu’à des portés.
— ouvrir une nouvelle pratique physique : les mouvements réflexes. Face à face chacun cherche à
surprendre l’autre en se lançant dans un geste surprenant, l’autre doit juste
faire « parade » et ramener son partenaire à la position initiale.
Cela se pratique aussi côte à côte.
— travail de « l’écoute » :
prendre une décision commune (s’arrêter de marcher/courir) sans qu’aucun signal
sonore ne soit donné, juste être aux aguets et se servir de son regard
périphérique.
Julien et Laurent en préparant cette séance ont
découvert l’écho sonore très long qui se propage dans le gymnase. Ils demandent
à Y et X, à la fin de la séance, de rester avec eux, pour mettre en place
un « match sonore ».
Chacun devant un goal fait un frappé sonore percussif sur son corps en le
lançant à l’autre, en ping-pong.
Cette nouvelle
séance avec les CAP MEN est de nouveau très positive. Les élèves tiennent plus
la concentration : ils arrivent à tenir 1h30 sans s’arrêter et sans trop
se cacher dans le couloir du gymnase quand ils en ont marre et ne sont plus
motivés par ce qu’ils font.
Ils
acceptent de mieux en mieux d’être au contact physique les uns avec les autres,
des réticences tombent.
On a même
eu droit à une minute de poésie quand un des groupes à réussi à tenir silence
et concentration sur la ligne des mouvements réflexes : 6 jeunes hommes silencieux
face public, sur le qui vive, prêts à se jeter corporellement dans la bataille
tout en étant à l’écoute des autres.
L’idée
d’isoler et de responsabiliser certains dans des apartés solo ou duo est à
suivre aussi.
jeudi
13 février 2013
• 9-10h : bureau de travail
Julien et Laurent finalisent une nouvelle
proposition de visuel pour la communication : loupe superposée à une carte
IGN achetée hier.
Gwenaële, Véronique et Laurent ont rendez-vous avec
Cécile Derrioz, directrice de la Médiathèque à l’Espace Baudelaire de Rillieux.
Ce rendez-vous permet de faire un repérage quant à la rencontre-conférence qui
aura lieu le 20 mars dans les locaux de la Médiathèque.
On retravaille aussi le texte de présentation pour
la brochure et nous choisissons un visuel photo.
• 16h-17h30 : bureau de travail du Lycée Lamarque
Laurent travaille avec Y, seule élève BMA qui n’a
pas fait la sortie au ski, et qui était donc disponible aujourd’hui.
Y, seule, se lance dans un enregistrement audio
d’un parcours qu’elle choisit et qu’elle commente à voix haute en direct :
elle choisit le plus habituel pour elle, entre l’entrée du parc et les ateliers
bois.
Laurent et Y font aussi le point sur les séquences
du domaine nomade : Laurent veut
entendre quelles séquences résonnent le mieux dans son imaginaire, quels types
de corporéité lui parlent le plus, etc. Cela aide à affiner quelques idées et
potentiels.
• 17h45-18h45 : salle vidéo, élèves TAP
Les 6 jeunes femmes sont présentes au RV. L’une
d’elle a émis le souhait que cette heure de travail puisse aussi être
l’occasion pour elles de faire des étirements : c’est l’image fonctionnelle
qu’elles ont de la danse.
Laurent organise donc un cours de danse adéquat à
leur demande : basé sur des étirements mais aussi sur des principes de
danse importants à transmettre qui pourront aussi être la base de construction
de la séquence : un dos s’enroule et se déroule, les bras sont rattachés
au dos, les positions des jambes/pied se travaillent en parallèle ou en
ouverture…
Séance un peu mitigée.
Leur investissement n’est pas très clair, elles sont présentes, un peu
bougonnes, mais très passives aussi : ce qui permet certes d’avancer dans une
certaine mesure, mais sans entrain ou imaginaire.
• 20h30 : spectacle Folks,
Yuval Pick, au CCNR
Grande sortie : 28 internes et externes
composent le groupe de spectateurs ce soir. Toute une délégation de jeunes gens
qui connaissent peu la danse contemporaine et qui acceptent de s’y confronter.
Je suis assis à côté du groupe des BMA. Leur concentration est
palpable et je n’entends aucun comportement nerveux dans les autres groupes de
lycéens. La chorégraphie fait écho à plusieurs approches physiques que nous
avons développés sur les jours précédents et je sens que les lycéens le
remarquent très vite : porté de groupe ressemblant à une huddle, travail de poids-contrepoids à deux, etc.
vendredi
14 février 2013
• 8-10h : atelier bois, BMA
Julien et Laurent, accompagnés de Charles et de son
appareil photo, s’attaquent à cette nouvelle séquence : faire une
chorégraphie des gestes manuels dans cette
partie de l’atelier bois allouée aux élèves ébénistes.
L’idée est de placer des petits groupes de
spectateurs autour d’établis sur lesquels chaque élève (7 BMA + 1 CAP qui ne
peut être là ce matin) déploierait cette chorégraphie musicale.
Pour cette première séance on déploie le plus de
processus possibles
— on dresse d’abord une liste des verbes
« sonores » des gestes manuels et des outils
correspondants :
racler
raboter
raper
scier
poncer
affûter
mesurer
sculpter (gouge,
ciseaux)
presser
— avec de la sciure on crée des mains négatives/positives préhistoriques sur des
feuilles de papier blanc A4
— on expose ses
mains : tendues, tordues, dépliées, en extension, etc.
— on rend sonore les
frottements des mains sur l’établi :
frottement continu
paume et
revers de la main
à l’oreille on crée des partitions spontanées,
alternant silences, soli et unissons à 2 ou plus
— on expose un objet
personnel : crayon, mètre, tournevis, etc. Et on compose encore des
courtes partitions spontanées à l’écoute :
frotter
laisse tomber
son bref
et comme dans une chaîne d'une main à l'autre on fait agir son objet avec celui de son voisin de droite...
Très belle séance : ludique, spontanée, qui nous a joyeusement
éloignés des premières idées désirées. La communauté des gestes est chorégraphiquement plus intéressante que
l’addition des interprètes éparpillés : faut-il penser une seule
« tablée » ? ou bien une évolution entre des établis éparpillés
et une « grande tablée’ ?
bilan de la troisième semaine :
on est vraiment maintenant dans le vif du sujet.
Chaque séquence a été choisie et on sait dans quelle direction commune on œuvre
ensemble.
Cette quinzaine de février doit servir tout
azimut à tester des idées pour créer du matériau chorégraphique qui s’écrira
ensuite.
Il est indéniable que les élèves sont maintenant
lancés en connaissance de cause, et pour l’instant un vrai élan est créé…
[…]
domaine nomade a été financé par la Région Rhône-Alpes, la Drac Rhône-Alpes, le Rectorat de l’Académie de Lyon, le Lycée professionnel Georges Lamarque et le CCN de Rillieux-la-Pape / Direction Yuval Pick