nov 13 _ dijon


regardé, collectés, interprété _
dijon, novembre 2013



Frédéric Bonnemaison, directeur du festival Entre cour et jardins, a eu vent du domaine nomade créé au CCN de Montpellier.
Le festival n'ayant pas de lieux de représentations attitrés, il est intéressé par les approches artistiques que génèrent les lieux non scéniques.
Il propose de créer une version du domaine nomade au Consortium de Dijon. Ce Centre d'art contemporain est situé dans un quartier excentré de la ville.
Cela permet au "nomadisme" du projet de pratiquer à la fois le contexte urbain, mais aussi différents espaces de ce bâtiment neuf, comme le parking ou les salles d'exposition dont certaines sont vides à cette période de l'année.


La documentation du domaine nomade réalisé à Dijon s'appuie sur trois types de traces collectées après les représentations. Des photos et vidéos prises sur le vif (les smartphones et autres petits appareils rendent de plus en plus faciles ces images discrètement "volées"), et le mail réflexif d'une spectatrice qui témoigne de ce qu'elle a vu à une tierce personne absente.
Ces traces post-représentations échappent habituellement aux artistes – et nous remercions les auteurs de ces documents de nous en avoir fait retour – mais, apposées et re-composées ici par l'artiste lui-même, elles offrent un portrait chinois de l'expérience artistique et témoignent du travail interprétatif propre au chorégraphe et à ces différents spectateurs.

À ces traces imprévues s'ajoute un document sonore : "je vois, je ne vois pas", travaillé avec une médiatrice du Consortium, et qui était diffusé lors d'une séquence du trajet-projet.






 je vois, je ne vois pas
— consortium, dijon










Olivier,
Comme promis, quelques retours sur la performance "domaine nomade" de Laurent Pichaud.
[…]

Quelques mots donc qui s'efforceront d'être descripteurs :
"domaine nomade" travaille, avec les spectateurs, les perceptions (les regards, les écoutes), les images et les imaginaires des lieux, des espaces, des sites, par une partition extrêmement riche, extrêmement composée, extrêmement subtile, extrêmement savante aussi mais sans jamais jamais s'afficher comme telle tellement ces savoirs de danseur, de chorégraphe, d'art visuel, d'intellectuel sont ici absorbés pour donner place à une seule chose ici il me semble : le sensible qui construit.
Œuvre in situ ou plutôt site-specific (ici Le Consortium), la performance-installation faite de déambulations, de filatures, de campements, de déplacements, de visites d'expo propose des expériences perceptives, des visions, des écoutes, des gestes, des situations dans les rues autour du bâtiment, dans divers locaux, des salles d'expo aux garages en sous-sol en passant par les bureaux… lieux travaillés sur le site avec les habitants du lieu par Laurent Pichaud en amont de la performance et par les spectateurs pendant.
La figure de l'œuvre est celle du nomade traité à même le lieu… avec "trois fois rien" façon on n'y voit rien on n'y voit beaucoup … expérience de voir le monde, du monde, des mondes jusqu'à l'infra-mince et ce qu'on ne voit pas.

Propositions de situations et d'expériences perceptives (échanger un vêtement avec celui d'un autre spectateur, marcher dans la rue en filant quelqu'un ou une couleur, voir un paysage urbain travaillé par l'image-souvenir d'un autre paysage, se retrouver dans une salle vide et s'y installer avec des couvertures comme "pour longtemps", regarder des objets, des danses, des œuvres, entendre des voix, des sons, etc).
Installation plastique (d'objets particuliers en plus des peintures, sculptures du centre d'art dont notamment une banderole de fanions colorés qui revient plusieurs fois, toute noire aussi),
installation lumineuse particulièrement travaillé (miroir planté dans l'herbe, projecteurs branchés ici et là pour en sentir la lente montée nous colorer, projecteur diapo utilisé sur l'un des tableaux de Richard Hawkins exposés, travaillées en décadrages, découpages, colorations, superpositions d'autres images)
Installation sonore (voix enregistrés d'une guide du Consortium qui décrit ce qu'elle voit de cette pièce vide où nous sommes et des œuvres qui y étaient qu'on ne voit pas ; d'un employé du Centre qui parle de 'l'histoire du garage" et de ces places de parking à vendre dont personne pourtant n'a besoin ; sons sortis des gestes, celui de frotter le sol avec des pieds en pattes de chien sur une dalle, dans l'herbe ou avec ces espèces de chausses en fer pour raboter les parquets (incroyable objet !) ; clair son tibétain sorti de cet extincteur rouge porté à genoux et à bout de bras, ces notes soufflées en répétition dans un harmonica pendant la visite de l'expo).
Performance d'une jeune guide du Consortium qui, devant la sculpture monumentale faite d'armoires compressées de Matias Faldbakken, déroule un discours de visite sur une œuvre de Richard Hawkins (délicieux on n'y voit on n'y voit mieux!)
Performance gestuelle, performance dansée, danses composées dans chacun des lieux (celles d'un impressionnant danseur-performeur-chorégraphe-pédagogue, d'un "artiste chorégraphique" au sens plein du terme quoi, un artiste nomade, seul et extrêmement peuplé comme les spectateurs que nous devenons en ce "domaine"), des gestes, des gestes-images, ceux d'un citadin, d'un sportif, d'un loubard, d'un chien de ville, d'un sdf, d'un réfugié… celui récurrent d'un geste d'appel à l'autre, d'un geste qui invite à un grand rassemblement collectif… une fête ? Ce geste aussi de porter à bout de bras ou de marcher sur les genoux… des petits gestes, des grands comme ce saut en forme de chute quand on glisse sur une peau de banane, ce qui arrive, n'est-ce pas ?

Alors voilà, entre art chorégraphique et art performance, entre lieu et image, entre sensibilité et intelligence, entre pensée de l'histoire et action au présent […]
Ce que je trouve remarquable est finalement la posture de Pichaud ici qui, en douce distance, invite le spectateur non pas à "participer" mais vraiment à être un "spectateur" : un de ceux qui construit le monde en le percevant…

Tenez moi au courant de vos avancées...
Bien à toi
A bientôt
A.