oct 14 _ marseille



documentation d'une préparation _
marseille, oct 2014




D'abord le contexte proposé :
la friche La Belle de Mai à Marseille, après la Manufacture de Strasbourg en 2012, accueille les Vingt-quatre heures de l’Architecture 2014, les 17 et 18 octobre 2014.


Madeleine Chiche et Bernard Misrachi du Groupe Dunes de Marseille y créent une installation sonore : De cet endroit, paroles d’architecture :

extrait du dossier de presse

Ils proposent à Laurent Pichaud de créer une performance au milieu de cette installation sonore, en partenariat avec Josette Pisani de Marseille-Objectif-danse, pour le vendredi 17 octobre au soir. Pour s’insérer dans la programmation générale des Vingt-quatre heures de l’architecture, deux horaires sont proposés : 18h30 et 22h30.


Un repérage,
est organisé le 18 septembre. Il permet la visite du site : le toit terrasse, et le descriptif de l’installation sonore en cours d’élaboration et de fabrication :
— un long banc en bois, zigzagant, éclairé par des lampadaires énergétiquement auto-suffisants
— un système de diffusion sonore permettant de faire entendre des textes d’architectes parlant de l’espace.

Cette première visite permet aussi de préciser la « commande » de la performance par le Groupe Dunes :
s’insérer physiquement et sensoriellement dans l’installation : penser une performance dans et/ou autour du banc
— proposer des événements sonores et/ou parlés en direct
— et surtout : par cette performance, donner à voir/entendre la spécificité du geste dansé par rapport aux espaces qu’il crée et investit.
Chacun insiste aussi pour que la performance s’insère dans la pensée du toit terrasse : celle d'un espace public qui prédispose les visiteurs à se déposer physiquement et imaginairement dans et face au paysage.


En réponse, par association d’idée quant à cette « commande » qui se précise grâce au dialogue engagé, Laurent Pichaud contacte la chercheuse en danse Julie Perrin, avec qui il a conçu plusieurs événements publics autour de la danse dite in situ. Elle accepte de s'investir dans cette nouvelle collaboration, en lui rappelant qu'elle n'est pas performeuse. Il s'agit pour Laurent Pichaud de mêler, comme il l'a déjà fait dans d'autres formats auparavant, l'intervention dansée et parlée (sur le mode de la conférence ou du jeu). Il faut ici inventer un statut de la parole et du geste qui s'insèrent dans l'installation du Groupe Dunes.

Le calendrier serré et le peu de temps de travail sur place en amont leur donnent à imaginer une performance dans laquelle pourra s'insérer un dialogue ou des textes et qui sera mise en scène spécifiquement pour le contexte proposé. Un espace-temps pour parler de ce que l’on voit, de ce que le geste dansé fait voir aux artistes et aux spectateurs…

Une première idée structurelle apparaît aussi : vues les conditions lumineuses un soir d’octobre à 18h30 et 22h30, une dramaturgie lumineuse semble pertinente. Trois types de luminosité, en écho à ce lieu urbain suspendu, sont choisis pour aider à structurer la performance :
— une lampe à sodium : de type éclairage urbain nocturne, très orange, que nous avons tous dans l’œil lorsque l’on pense à une ville la nuit.
— une lampe à mercure : de type éclairage de stade, très blanc, qui au contraire ‘crame’ les lieux et électrise les couleurs.
— une enseigne lumineuse, pour ramener la ville, la rue, le quotidien, sur le toit-terrasse en surplomb. Une croix de pharmacie ?

Commencer à être travaillé,
trouver un imaginaire, une répartition des rôles, se projeter dans une cohérence, douter pour stabiliser l’en-commun… Un rendez-vous skype fin septembre permet à julie Perrin et Laurent Pichaud d’anticiper le travail à faire sur place la veille de la performance.

Quel format de conférence choisir ? Techniquement on sait que nous pourrons avoir deux micros-cravates pour évoluer facilement dans les espaces, même loin du banc de l’installation sonore.

Quels espaces investir ?  On choisit de respecter ce que le lieu permet déjà : ouvrir un panorama sur la ville et la baie maritime au loin. Quitte à faire vivre le hors-champ, le très lointain, l’invisible… et s’appuyer sur le potentiel perceptif de ce lieu singulier, si généreusement cinématographique, si pleinement scénique et si organiquement sensuel.

Un court texte est alors écrit et proposé pour le site web et la communication que met en place Marseille-Objectif-danse producteur de la soirée : 

La seule chose dont on est sûr, c’est que l’expérience que chacun a d’un lieu s’invente dans l’espace-temps d’un vécu singulier. Certes, on pourra tous constater qu'il y a un banc sur le toit de la Friche de la Belle de mai. Pourtant, à partir de là, le panorama peut se déformer ou reformer à loisir, sous l'effet d'une pratique de l'imagination et du sensible qui fait du lieu un décor, une scène, un habitat ou un tympan.
Le domaine nomade que nous proposons expérimentera une telle traversée.


Ce texte dit la part d’invention en fonction d’un lieu particulier ; il insiste sur l'idée d'expérience ou de découverte et d'invention sensible du réel. Il annonce quatre pistes à partir desquelles le réel surgit et se métamorphose : prendre le lieu pour un décor de cinéma ou pour un plateau de théâtre, le considérer comme un lieu d'habitation à installer ou le prendre comme un tympan, c'est-à-dire une caisse de résonance pour les mots qui seront prononcés (un lieu d'écoute).

Julie Perrin et Laurent Pichaud ne souhaitent pas assigner à chacun des fonctions performatives trop évidentes : la conférencière et le corps dansant. Ils font l'hypothèse que le corps conférencier, sa position dans l'espace, son vis-à-vis avec les auditeurs-spectateurs, son mode d'adresse reconfigure aussi le paysage. Il faudra tenter de ne pas s'illustrer l'un l'autre.

Des échanges de mails prolongent la discussion, en particulier autour d’un corpus de textes à lire en direct le soir de la performance. Que chercher ? Des textes de chorégraphes parlant d’espace(s) ? Des textes théoriques ?

 
cher Laurent,
je suis un peu perdue dans mes recherches, dans mes livres... tout en ayant très peu de temps à y consacrer. J'ouvre des livres presque au hasard, sans trop savoir ce que je cherche.
Sinon, oui, plutôt des DESCRIPTIONS. Puis qu'il s'agit d'évoquer d'autres lieux que là où nous serons : c'est cette idée de "hors cadre" que tu as évoquée. Ce hors-cadre, tu l'as pratiqué parfois par la voix off, quelqu'un que tu avais interviewé décrivant un autre lieu, ou quelqu'un en direct sur skype intervenant dans le domaine nomade.
Je cherche de mon côté un hors-cadre textuel, littéraire peut-être ?
J’ai regardé chez Julien Gracq, bien sûr : La forme d'une ville .... ou d’autres textes de lui, pour son art de la description.
J’ai pensé à Butor (trouvé une anthologie de textes de lui, courts textes classés par thème : le mur, les villes, les ports, les ponts : bref, de quoi s'amuser).
Il y aurait Sarraute, au début de Ici  j’ai trouvé quelque chose sur le banc (mais la piste est fragile).
J’ai éliminé Sansot, Pavese (trop de collines, non ?),... Echenoz (j’ai renoncé pour ce contexte). Une piste du côté d'Eco, peut-être ?

Cette enquête me semble  sans fin et totalement désordonnée...
Sebald, j'y pense aussi, ou Calvino (Villes invisibles), ou Robert Walser
Bien sûr, si je lisais davantage de littérature,  je dirais : "Un banc, mais bien sûr!" 

J’ai pensé aussi que peut-être il fallait regarder du côté des descriptions de tableaux pour la section DECOR :…Arasse ? En fait, pour cette section, je n'ai pas trop d'idées cinématographiques. Est-ce que des descriptions de films nous intéressent ? Je pourrais chercher en ce sens.

Faut-il aussi piocher dans nos classiques comme de Certeau ?
Ou dans des textes sur le regard ? (je pense à Bernard Noël… il a aussi écrit Extraits du corps, si on cherche du corps dans le texte, restons là.)
Pas encore eu entre les mains le texte de Barthes Comment vivre ensemble, mais je continue à croire que c'est une bonne piste : le thème, le ton et l'intelligence, et la clarté.

Comme tu vois je suis plutôt du côté de l'urbain.
Mais peut-être faudrait-il tout simplement (?), pour la section SCENE, des descriptions de danses ?

J'ai un peu l'impression de faire n'importe quoi !
Alors si ça te parle, dis-moi, sinon je change de stratégie et je fais du yoga.
[…]
julie

chère Julie,
[…]
viens avec ce que tu a déjà en toi, en mémoire, si tu trouves ou penses à des livres que tu aimes, que tu as envie de relire, prends-les à Marseille,
on a d'abord besoin de lire ensemble le site, le contexte, l'installation avant de préciser les matériaux artistiques.

l'idée est que ta présence puisse incarner de la pensée, que ce soit à travers des citations ou non, ce peut être aussi à travers des évocations, des associations d'idées spontanées, etc.
J'arrive porteur d'expériences chorégraphiques, tu arrives porteuse d'articulations "théoriques", c'est beaucoup. La manière dont tout cela se fera entendre, c'est de notre responsabilité de performers : trouver la bonne adresse, les bons processus... Ensuite s'il faut courir acheter un accessoire ou bien un livre, c'est la même chose : c'est la vie du spectacle fait vite ! Et c'est aussi excitant, et merci internet.

[…]
mes bises
laurent

Écrire une performance.